Les expulsions et le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat rejette la demande de suspension de l'arrête interdisant les expulsions

(mis en ligne le 7 juillet 2020)

On sait que le Gouvernement bruxellois a adopté un arrêté de pouvoirs spéciaux qui interdit les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020.

En d'autres termes, le bailleur nanti d'un jugement d'expulsion d'un locataire défaillant (généralement parce qu'il ne paie plus son loyer) ne peut pas mettre en œuvre ce jugement avant la fin du mois d'août 2020.

Cela signifie bien souvent, pour lui, de nouvelles pertes locatives auprès d'un débiteur insolvable.

Le Syndicat national des propriétaires, de même que deux bailleurs préjudiciés par cette réglementation, ont attaqué cet arrêté en suspension devant le Conseil d'Etat.

Par un arrêt du 22 juin 2020 (247.856), le Conseil d'Etat a rejeté cette demande de suspension. 

Il convient peut-être de rappeler ici que le Conseil d'Etat peut suspendre l'acte administratif attaqué lorsqu'il y a urgence et pour autant que les moyens invoqués à l'appui de la demande d'annulation paraissent sérieux.

En l'espèce, le Conseil a jugé que la première condition, soit l'urgence, faisait défaut, selon une jurisprudence depuis longtemps admise. En effet, le Conseil estime que lorsque le préjudice subi consiste en un préjudice financier, il est, en principe, réparable puisqu'il peut être compensé par l'octroi de dommages et intérêts. Les requérants n'ont pas démontré, en l'espèce, que le maintien des locataires dans les lieux (et l'hémorragie financière que l'on peut supposer) leur causait des conséquences irréversibles, de sorte que l'urgence fait défaut. La demande de suspension est donc rejetée.

Ce faisant, le Conseil d'Etat ne s'est donc pas prononcé sur le sérieux des moyens invoqués, il ne s'est évidemment pas non plus prononcé sur l'annulation de cet arrêté. Or, comme ce dernier cesse ses effets, en ce qui concerne les expulsions, au 31 août 2020, nul doute que la requête deviendra sans objet lorsqu'elle sera étudiée au fond (pour autant, encore, que les requérants poursuivent la procédure).

Cet arrêt ne nous étonne pas, en matière de technique et de légalité administratives, mais il n'en demeure pas moins que cet arrêté bruxellois interroge et place dans l'embarras de nombreux propriétaires.

Nous rappellerons que le droit de propriété est protégé par des instruments internationaux, en particulier le Premier protocole additionnel, et que parmi ses composantes figurent le droit d'obtenir le respect en justice de ses créances et l’obligation, pour l’Etat, d’organiser les procédures idoines pour en assurer au mieux le respect.

En adoptant cet arrêté, le pouvoir public bruxellois a donc entravé cette composante. Un contrôle de proportionnalité doit exister entre cette limite du droit fondamental et le but visé. 

Nul doute que les pouvoirs publics argueront que cet arrêté est exceptionnel et limité dans le temps, ce qu’il doit absolument rester. Ou c’est le droit fondamental lui-même qui se voit irrégulièrement réduit.

 

Vincent DEFRAITEUR

 

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