La sanction du pouvoir expropriant : la rétrocession

Une fois l'expropriation ordonnée, le pouvoir expropriant a l’obligation de réaliser le but d’utilité publique. A défaut, l’autorité doit proposer à l’exproprié de récupérer son bien moyennant remboursement de l’indemnité d’expropriation sans intérêt. Si une telle proposition n’est pas formulée, l’exproprié peut assigner l’autorité expropriante en rétrocession du bien en nature ou en paiement d’indemnité. Ce droit est acquis, indépendamment de la loi d’expropriation utilisée. 

Dès lors que le bien exproprié se retrouve dans le patrimoine de l’autorité expropriante, encore convient-il pour cette dernière de réaliser le but d’utilité publique annoncé. Si cela découle du bon sens, ce but n’est pas pour autant toujours réalisé… Pour des raisons politiques ou financières, bonnes ou mauvaises, il arrive que l’autorité publique renonce au projet envisagé. 

Or, l’expropriant reste lié par son motif d’expropriation, en ce sens qu’une fois décidé à renoncer au but d’utilité publique pour lequel l’expropriation a été ordonnée, l’expropriant ne peut pas revendre le bien ou encore lui donner une autre affectation sans offrir au citoyen dépossédé le droit de retrouver la propriété du bien litigieux. 

Il s’agit là du droit de rétrocession dont les modalités d’exercice ne sont pas précisées dans la loi de 1962 mais bien dans celle du 17 avril 1835, en son article 23. Cette disposition précise que l’expropriant a l’obligation de faire publier un avis précisant que les biens ne recevront pas la destination annoncée. L’exproprié dispose alors de 3 mois pour faire connaitre sa position. A défaut d’avis, l’exproprié pourra diligenter une procédure en rétrocession devant le tribunal de première instance. 

Deux possibilités se présenteront

  • si le bien existe encore en nature, l’exproprié en récupérera la propriété moyennant remboursement des indemnités numériquement perçues. A titre d’exemple, un citoyen est exproprié en 1980 d’un terrain vague pour un montant de 100.000 francs belges dans le but de construire une gare. En 2005, aucune gare n’a été construite. L’autorité doit proposer à l’exproprié de récupérer son terrain vague contre remboursement, par l’exproprié, de 2.478, 93 € (100.000 BEF).1
  • si le bien ne peut être rétrocédé en nature (parce qu’il a été vendu ou parce qu’il a reçu une autre destination par exemple), l’expropriant engagera sa responsabilité civile sur la base de l’article 1382 du Code civil. Le dommage en lien causal sera la perte par l’exproprié de son droit à récupérer son bien, sous déduction de l’indemnité d’expropriation perçue à l’époque.2


Nous pensons que cette sanction de l’autorité expropriante trouve sa source dans l’article 16 de la Constitution, lequel consacre qu’une expropriation ne peut être menée que sous réserve de trois conditions cumulatives, dont le but d’utilité publique. Dans la mesure où ce but n’est pas réalisé, l’autorité a l’obligation, sinon de rendre la propriété, à tout le moins d’offrir à l’exproprié de la récupérer. 

On peut également considérer que cette protection découle de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, lequel consacre la protection des biens et offre au citoyen une protection souvent plus large que celle offerte par le droit belge.

Alors que ce droit n’était pas contesté par les auteurs et ce, depuis longtemps, d’aucuns ont tenté de faire admettre que ce droit de rétrocession n’existait pas lorsque l’expropriation litigieuse avait été menée sur la base de la loi de 1962. Ces plaideurs soutenaient que, dès lors que le droit de rétrocession figure dans la seule loi de 1835, l’expropriant qui ne réalise pas le but d’utilité publique annoncé n’est pas lié par cette obligation d’offre de rétrocession.

Fort heureusement, la jurisprudence a rejeté cette théorie en considérant que le droit de rétrocession s’appliquait à tout type d’expropriation, quelle qu’ait été la loi de procédure. Par ailleurs, il n’est pas surprenant que la loi de 1962 soit muette sur le droit de rétrocession puisque cette loi d’extrême urgence, par définition, vise à accélérer le processus d’acquisition de la propriété, sans mot dire sur les éventuelles sanctions du pouvoir expropriant qui renonce à son projet, parfois des années plus tard…

Par des arrêts récents, la cour d’appel de Bruxelles a explicitement affirmé3 ce principe, de même que la Cour de cassation.4

De même, certaines législations ont explicitement exclu l’application du droit de rétrocession. Par un arrêt du 25 septembre 2014, la Cour constitutionnelle a toutefois considéré que pareille exclusion violait la Constitution.5


1 Voir Trib. Bruxelles, 12 mars 1998, J.L.M.B. 1999, p. 861 pour un bien exproprié en 1973 et rétrocédé en 1998.

2 Voir Liège, 23 fév. 1990, J.L.M.B., 1991, p. 1237 pour un excellent résumé de ces principes.

3 Bruxelles, 18 novembre 2008, T.R.O.S., Nieuwsbrief 2011, liv. 2, 21 ; Bruxelles… Janssens

4 Cass., 22 mai 2009, Pas., 2009, liv. 5, p. 1242, concl. Vandewal.

5 C. Cons., 25 sept. 2014, J.T., 2015, p. 677-678.


 

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