La procédure d'expropriation à Bruxelles : les recours et leur délai

La procédure applicable

Les expropriations pour cause d’utilité publique menées à Bruxelles sont diligentées par les pouvoirs publics, dans la très grande majorité des cas, sous l’égide de la loi du 26 juillet 1962. 

La Wallonie dispose désormais de son propre décret organisant la procédure d'expropriation (décret du 22 novembre 2018 entré en vigueur le 1er juillet 2019).

Cette loi de 1962 organise une procédure de prise de possession d’extrême urgence, de sorte que l’exproprié, qui se retrouve face à un pouvoir expropriant déterminé, doit assurément organiser au mieux sa défense dans un minimum de temps pour, au mieux, éviter l’expropriation et, au pire, obtenir un maximum d’indemnité. 

Cette loi du 26 juillet 1962 organise donc une procédure judiciaire qui se distingue du droit commun en différents points auxquels le professionnel du droit se doit d’être particulièrement attentif. Cet article a pour intention d’énumérer les différentes étapes et, pour chacune d’entre elles, les recours dont le justiciable bénéficie. 



1. Première étape : un arrêté d’expropriation

Pour pouvoir exproprier, le pouvoir expropriant doit avoir été autorisé par un exécutif. Le gouvernement (fédéral, communautaire ou régional) doit donc prendre une décision administrative autorisant telle commune, province, intercommunale… à procéder à une expropriation. Cet arrêté constitue un acte administratif classique, lequel peut donc être attaqué en annulation et en suspension au Conseil d’Etat, selon les règles du droit commun. Il s’agit donc là d’un premier recours. En effet, le Conseil d’Etat pourrait suspendre, voire annuler cette décision, de sorte que l’expropriation ne pourrait plus être menée. Et si elle a été effectuée avant cette annulation, l’expropriation litigieuse perd son fondement légal et le pouvoir public, par le biais d’une procédure en référé par exemple, pourrait se voir interdit de prendre possession des biens expropriés. Juridiction administrative par excellence, le Conseil d’Etat appréciera la légalité interne et externe de l’arrêté. Il faudra s’attacher à examiner si l’arrêté répond aux exigences posées par la loi du 26 juillet 1962 elle-même (par exemple en matière d’extrême urgence) mais aussi aux exigences découlant de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, et toutes celles découlant du droit commun (compétence de l’auteur de l’acte, …). Le Conseil peut aussi apprécier la conformité de l’acte attaqué avec le but d’utilité publique, avec les conclusions tirées d’une enquête publique etc. Le délai de recours en la matière est celui du droit commun, soit 60 jours à dater de la publication de l’arrêté. Il convient toutefois en la matière d’être attentif à ceci : la compétence du Conseil d’Etat étant résiduaire, si le requérant au Conseil est le futur exproprié et que, durant la procédure pendante au Conseil d’Etat, l’exproprié est cité par le pouvoir expropriant devant le Juge de paix, cette procédure judiciaire prendra le pas sur la procédure pendante au Conseil, laquelle deviendra caduque. Il convient donc, pour sauvegarder la procédure administrative, que la requête en annulation soit également, ou seulement, diligentée par un voisin de l’expropriation, soit une personne intéressée par l’expropriation mais qui n’en est pas menacée directement. En pareil cas, même si la procédure judiciaire est lancée à l’égard des expropriés, la procédure au Conseil d’Etat se poursuit. 

2. Deuxième étape : le Juge de paix

La loi du 26 juillet 1962 prévoit que c’est le juge de paix des lieux à exproprier qui doit être saisi par le pouvoir expropriant. 

Une fois cité en justice, il appartient à l’exproprié d’avertir les tiers intéressés (par exemple les locataires) pour permettre à ces derniers d’intervenir volontairement dans la procédure et d’y faire valoir les moyens qu’ils souhaitent. 
La comparution des parties se tient sur les lieux à exproprier. C’est la seule audience. Il appartient donc à l’exproprié de faire état, à ce moment-là, de tous ses moyens de défense, tant en ce qui concerne la légalité de l’expropriation qu’en ce qui concerne les indemnités qu’il estime devoir percevoir. 

L’exproprié, qui aura introduit une requête au Conseil d’Etat au préalable, en son nom ou par le biais d’un voisin, pourra faire valoir les mêmes griefs d’illégalité à l’égard de l’arrêté d’expropriation. Le juge de paix devra statuer sur la légalité de l’arrêté. Il est évident que si, dans l’intervalle, l’Auditeur a rendu un avis positif, la position de l’exproprié s’en retrouvera renforcée. 

Il s’agit donc ici d’un second moment de défense, lequel est toutefois difficile à exercer puisque depuis qu’il a reçu la citation, très peu de temps s’est écoulé (8 jours au minimum). Le Juge doit rendre ensuite son jugement dans les 48 heures de cette comparution sur place. S’il estime que l’expropriation est illégale, il rejette la demande et le pouvoir expropriant peut interjeter appel devant le Tribunal de première instance. Par contre, s’il estime l’expropriation légale, il ordonne le transfert de propriété et alloue à l’exproprié un montant d’indemnités dites provisionnelles. L’exproprié, quant à lui, ne peut pas faire appel de ce jugement. Le juge désignera aussi un expert qui sera chargé d’évaluer l’ensemble des préjudices subis par l’exproprié. Cette procédure d’expertise et la mise en état qui s’ensuit répondent au droit commun. Il s’agit-là d’un troisième moment de défense, mais qui ne touche évidemment plus à la légalité de l’expropriation elle-même. Au terme de cette procédure, le juge de paix rendra un second jugement statuant sur les indemnités dites provisoires revenant à l’exproprié. Cette phase de la procédure est la phase la plus rapide mais également la plus déterminante sur le sort de l’expropriation. 

3. Troisième étape : prise de possession des biens expropriés

Dès lors que le premier jugement du Juge de paix est rendu – celui ordonnant le transfert de propriété –, le pouvoir expropriant ne peut pas prendre possession des biens tout de suite. La Constitution parle d’indemnité préalable de sorte que l’expropriant ne peut être envoyé en possession des biens par le Juge de paix qu’après avoir démontré que le montant des indemnités a été consigné à la Caisse des dépôts. Le Juge rendra alors une ordonnance d’envoi en possession, laquelle sera signifiée à l’exproprié. Certains ont tenté de former tierce-opposition à l’encontre de cette ordonnance mais cette voie de recours a été rejetée. 

4. Quatrième étape : action en révision

Lorsque la saisine du Juge de paix été complètement vidée, soit après avoir rendu les jugements statuant sur l’expropriation elle-même, les indemnités provisionnelles puis les indemnités provisoires, tant l’expropriant que l’exproprié peuvent porter la cause devant le Tribunal de première instance. Il s’agit donc d’un quatrième moment de défense. Il s’agit là d’une action en révision, soit une action nouvelle et autonome, laquelle n’est pas un appel des jugements cantonaux. Cette action en révision doit être intentée dans les deux mois suivant la notification à l’exproprié du jugement provisoire et du certificat de dépôt des indemnités complémentaires éventuelles à la Caisse de dépôt. Cette action est introduite par citation. Devant le Tribunal de première instance, l’exproprié peut, à nouveau, faire valoir tous les moyens de défense qu’il souhaite, tant en ce qui concerne la légalité de l’expropriation elle-même (même si celle-ci a été ordonnée, voire exécutée depuis) qu’en ce qui concerne les indemnités qui lui ont été allouées. Il peut donc faire valoir les mêmes arguments de légalité que ceux développés devant le Juge de paix et qui auraient été rejetés. Il dispose évidemment de plus de temps pour préparer sa défense que lors de l’audience de comparution sur les lieux avec le juge de paix. La procédure suit alors son cours devant le Tribunal de première instance selon le droit commun. Si le Tribunal estime que les indemnités allouées à l’exproprié sont sujettes à discussion, il peut désigner un nouvel expert qui procédera à une nouvelle estimation du préjudice subi par l’exproprié.

Au terme de cette mise en état, le Tribunal statuera donc à nouveau sur la validité de l’expropriation et sur les indemnités allouées. S’il estime que l’expropriation est illégale (par exemple, cas d’école, parce que l’arrêté d’expropriation a été annulé par le Conseil d’Etat) alors que l’expropriation a été diligentée dans l’intervalle (ce qui sera souvent le cas vu le temps des procédures), le Tribunal devra constater que le pouvoir expropriant a commis une faute et qu’il engage sa responsabilité sur la base de l’article 1382 du Code civil. L’exproprié sera donc indemnisé sur cette base puisque les préjudices qu’il a subis devront être réparés selon la logique de la responsabilité extracontractuelle. 

5. Cinquième étape : l’appel

Dès lors que le Tribunal de première instance ne siégeait pas en degré d’appel du juge de paix, sa décision est susceptible d’appel selon le droit commun, soit dans le mois de la signification du jugement attaqué. Cette procédure d’appel constitue une cinquième voie de défense.

La cause est alors introduite devant la cour d’appel qui, toujours selon le droit commun, aura à connaitre tant de la légalité de l’expropriation que du débat sur les indemnités. A nouveau, la cour peut désigner un expert chargé d’évaluer les indemnités devant revenir aux expropriés. Si la cour venait à déclarer l’expropriation illégale, à la différence du juge de paix ou du Tribunal de première instance, ce seront les règles d’indemnisation relevant de la responsabilité civile qui trouveront à s’appliquer.

6. L’ultime étape : la Cour européenne

Il n’est pas inutile de rappeler qu’au titre des droits de l’homme figure le droit de propriété, consacré à l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH. La cour dispose d’une jurisprudence abondante en matière de protection des biens, laquelle, sur certains points, est davantage protectrice que le droit interne belge. L’exproprié pourra donc, le cas échéant, saisir la CEDH de la question du respect, par l’Etat belge, de la protection offerte aux biens. En cela, ce recours constitue un sixième moyen de défense. S’il obtient gain de cause, Strasbourg condamnera la Belgique et allouera à l’exproprié une juste et adéquate compensation qui, dans certains cas, peut devenir consistante. La décision de la cour n’aura évidemment aucun effet quant à un hypothétique retour du bien exproprié dans le patrimoine de l’exproprié.

7. La sanction : l’action en rétrocession

Enfin, il faut rappeler avec force qu’une fois que l’expropriation est terminée, le pouvoir expropriant reste tenu, envers l’exproprié, de réaliser le but d’utilité publique ayant justifié l’expropriation et de le réaliser intégralement. Si le pouvoir public devait changer de projet, il doit en informer l’exproprié pour lui permettre de réacquérir sa propriété, moyennant remboursement de l’indemnité perçue et ce, sans intérêt. A défaut d’informer l’exproprié, le pouvoir public engage sa responsabilité. L’exproprié pourra obtenir en justice, si le bien existe encore en nature, le retour de son bien dans son patrimoine. Si le bien a été modifié ou a été cédé, les pouvoirs publics devront verser à l’exproprié des dommages et intérêts. 

Ce droit constitue donc une dernière protection de l’exproprié à l’encontre des pouvoirs publics. 

Il est renvoyé vers le chapitre consacré à cette action.

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