Le droit de préférence du locataire

La matière du bail d’habitation à Bruxelles a connu deux grands changements en cette fin 2023 :

  • la procédure locative, en ce compris les modalités d’expulsion, a été modifiée par une ordonnance du 22 juin 2023 entrée en vigueur le 31 août 2023 ;
  • une autre ordonnance, votée en séance plénière ce 19 septembre 2023, instaure un droit de préférence en faveur du locataire en cas de mise en vente du bien qu’il occupe.

Exposons ce nouveau droit de préférence.

Qui ? – Le bénéficiaire de ce droit de préférence est le locataire d’un bail de résidence principale à Bruxelles, domicilié dans les lieux, pour autant que ce bail ne soit pas (ou plus) un bail de courte durée. Rappelons que le bail de courte durée est conclu pour une durée inférieure ou égale à trois ans.

Ce droit profite donc à un locataire qui s’inscrit sérieusement dans les lieux (en y étant domicilié) et dans la durée (en excluant le bail de courte durée).

Le locataire n’est pas le seul titulaire de ce droit de préférence : ce droit est étendu à sa famille, à savoir son conjoint ou cohabitant légal, ses enfants et ceux de ce dernier, pour autant toujours que ce membre de la famille soit domicilié dans les lieux.

Sont donc exclus les locataires qui ne sont pas domiciliés dans les lieux au jour où nait ce droit de préférence, mais aussi les locataires d’un bail de colocation ou d’un bail étudiant.

Quand ? – Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 6 janvier 2024. Elles trouveront donc à s’appliquer à toute décision de mise en vente prise à dater de cette date. La nouvelle ordonnance s’applique donc aux baux en cours.

Le bailleur qui aura décidé de mettre en vente ce bien avant la nouvelle année sera dispensé de ces formalités, à charge pour lui de démontrer, en cas de contestation, que le processus de mise en vente avait été mis en mouvement avant le nouvel an.

Mise en œuvre – La mise en œuvre de ce droit de préférence nous parait ardue.

Il revient tout d’abord au bailleur d’avertir son locataire de son intention de vendre le bien et de lui formuler une offre de vente. Comme toute offre, pour qu’elle puisse sortir ses effets en cas d’acceptation, elle doit être complète, ferme et précise : elle doit donc viser le bien, sa description, sa désignation cadastrale et le prix sollicité. Le locataire dispose alors de 30 jours pour prendre position à dater de la réception de cette offre.

En cas d’acceptation, cette acceptation vaut alors vente. Le transfert de propriété est toutefois différé à la signature de l’acte authentique, de même que le paiement du prix, sous réserve d’un éventuel acompte.

Si le locataire ne prend pas position, il est réputé avoir renoncé à l’exercice de son droit. Le bailleur est alors libre de contracter avec un tiers aux mêmes conditions.

Si le locataire ne donne pas suite à l’offre originaire et que, dans le cadre du processus de mise en vente, le bailleur devait in fine vendre à des conditions plus avantageuses que celles offertes au locataire initialement, le bailleur devra formuler une nouvelle offre de vente à son locataire qui, désormais, disposera de 7 jours à compter de la réception de cette nouvelle offre pour prendre position.

Agent immobilier et notaire – Le texte prévoit que l’agent immobilier ou le notaire chargés de la vente doit s’inquiéter du respect, par le bailleur-vendeur, de ses obligations et, le cas échéant, les pallier. Ainsi, si l’un de ces intervenants constate que le bailleur n’a pas proposé le bien à son locataire, le texte dit qu’il devra lui-même y procéder.

Il nous parait que par facilité, l’agent immobilier devra enjoindre son client à notifier son intention au locataire, pour éviter d’écrire en son nom, et se garder la preuve de cette injonction.

Il s’agit donc d’une obligation spécifique et nouvelle pour l’agent immobilier, laquelle est d’autant plus étonnante que la réglementation de cette profession relève de la compétence du pouvoir fédéral. Dans son avis, le Conseil d’Etat n’y a cependant pas vu d’objection.

Droit de préemption - Le rôle du notaire est particulièrement accru : en effet, si le notaire devait encore constater que l’obligation du bailleur-vendeur n’a pas été remplie préalablement, il devra notifier au locataire, au plus tard 60 jours avant la passation de l’acte authentique, la copie du compromis signé avec un tiers acquéreur ou de l’accord signé avec ce dernier, afin de permettre au locataire d’exercer son droit dans les 30 jours de la réception de cette notification. Dans ce cas, le droit de préférence, présenté comme tel par le texte, constitue un réalité un véritable droit de préemption puisque si le locataire exerce son droit, il prend la place du candidat acquéreur.

En cas de vente publique – Le texte prévoit des garanties similaires pour le locataire en cas de mise en vente publique du bien. 

Ainsi, en cas de vente publique dématérialisée (la plus courante actuellement), le notaire devra notifier au locataire le cahier des charges au moins 30 jours avant la mise en vente et il reviendra au locataire d’indiquer s’il entend exercer son droit. Dans l’affirmative, il devra indiquer le prix maximum qu’il propose.

Si le montant de la dernière enchère est inférieur ou égal au prix proposé par le locataire, ce dernier remporte la vente au prix de la dernière enchère. Si, à l’inverse, le prix des enchères excède le prix proposé par le locataire, ce dernier est déchu de son droit.

Sanction – En cas de non-respect par le bailleur du droit de préférence de son locataire, ce dernier se voit nanti d’une action subrogatoire qu’il peut intenter contre l’acquéreur, afin de devenir propriétaire du bien à sa place, moyennant remboursement du prix payé par ce dernier.

Cette procédure verra également la présence du vendeur à la cause pour lui permettre, le cas échéant, de contester le non-respect du droit de préférence allégué par le locataire.

Au vu de leurs obligations spécifiques, la mise à la cause de l’agent immobilier et du notaire sera sans doute courante, d’où l’importance pour l’agent immobilier de se soucier du respect de cette obligation par son client vendeur et d’en conserver la preuve.

En effet, le locataire disposera d’un délai d’un an à dater de la transcription de la vente pour intenter son action. Au-delà, il sera trop tard.

Exceptions – Certaines ventes privent le locataire de cette faculté. Le texte en vise une dizaine à l’article 247/1 § 2. Citons, sans entrer dans les détails, la vente opérant au sein de la famille (1°), la cession d’usufruit ou de nue-propriété (2°), la cession immobilière opérant dans le cadre de fusions, scissions ou liquidations de sociétés (3°), la vente à sa propre société (4°), la cession de droits indivis entre indivisaires (5°), la vente d’un bien frappé par un arrêté d’inhabitabilité (8°).

Lorsque le bien vendu comporte plusieurs logements, les locataires ne disposent pas non plus de ce droit, car cela impliquerait de devoir diviser l’immeuble et de créer une copropriété (9°).

Il existe également deux exceptions en faveur des pouvoirs publics : lorsque le bien est cédé à une autorité publique en vue d’être utilisé à des fins d’intérêt général (6°) ou lorsque le bien fait l’objet d’un arrêté d’expropriation (7°).

Le locataire est enfin également déchu de son droit de préférence si le bien avait déjà fait l’objet, avant la conclusion du bail, d’une promesse de vente envers un tiers et que ce dernier exerce son droit (10°).

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