Le livre 3 en 12 épisodes - L’emphytéose nouvelle version (ép. 3)

Issue du régime hollandais, et plus loin encore du régime grec, l’emphytéose était tombée en désuétude au 19ème siècle avant de connaitre un regain d’intérêt ces 70 dernières années. La promotion immobilière est friande de cet instrument, tant pour des raisons civiles que fiscales. Le livre 3 abroge la loi du 10 janvier 1824 et intègre une emphytéose revisitée au sein de son titre 7.  Que faut-il en savoir ?

Trois exigences ancestrales

L’emphytéose avait trois exigences : son orthographe, sa durée minimale et son caractère onéreux.

Voyons les crescendo.

  • l’orthographe ne change pas et nous retrouverons sous ce vocable poétique nos cours de grec ancien : ἐμφύτευσις pour « planter dans » (bien sûr), alors que l’emphytéote ne plante plus grand chose à l’heure actuelle, si ce n’est des immeubles (au sens courant du terme) et des montages fiscaux,

 

  • l’emphytéose, rangée au titre de droits réels d’usage avec ses petit (l’usufruit) et grand (la superficie) frères, est le seul de la famille à connaitre une durée minimale : elle était de 27 ans, elle descend à 15 ans. Le législateur de 2020 voulut donner de la souplesse au droit des biens, ce changement entend y participer en émancipant quelque peu l’instrument,

 

  • enfin, l’emphytéose devait être onéreuse : le titulaire devait reconnaitre le droit de propriété du tréfoncier par le paiement d’un canon. Souvent, il était modique (un euro symbolique ?) ; demain, il ne sera plus requis. Mais, supplétivité de droit commun oblige, rien n’empêchera les parties de convenir du paiement de quelque chose : loyer, redevances, canon, etc.

« Les trois frères » (titre connu)

L’emphytéose a deux frères, nous le disions ; c’est le fils du milieu.

L’emphytéose est un grand usufruit car l’emphytéote n’est pas tenu de respecter la destination de la chose, obligation impérative à laquelle est astreint l’usufruitier. L’emphytéote a donc les coudées plus franches. En termes de durée, les régimes se rejoignent puisque, s’agissant d’une personne morale, le maximum autorisé pour l’usufruit grandit, quant à lui, à 99 ans pour s’aligner sur le frère intermédiaire.

L’emphytéose est une petite superficie car l’emphytéote n’est pas propriétaire de l’immeuble concerné : il doit se contenter de l’usage (et de la jouissance) du bien quand le grand frère superficiaire est le véritable propriétaire du volume concédé. En réplique, l’emphytéote pourra cependant revendiquer du tréfoncier (ou constituant) la possibilité d’ériger des ouvrages et plantations sur le bien mis en emphytéose, constructions dont il sera pleinement propriétaire au terme d’une… superficie-conséquence ! Voilà le frère intermédiaire qui ravit au plus grand son atout le plus fort.

L’inverse est vrai aussi : la superficie voit sa durée maximale s’aligner sur celle de l’emphytéose en passant de 50 ans à 99 ans. Aussi les deux régimes connaissent-ils la même exception à ce caractère limité à 99 ans lorsque le droit d’usage est concédé à des fins de domanialité publique.

Dès lors, puisque les régimes tendent à se rapprocher et que le législateur permet des aménagements contractuels, osons sans faillir poser la question fatale : le succès de l’emphytéose survivra-t-il à la réforme ? L’avenir nous le dira.

Un régime alourdi… mais récompensé

La nouvelle loi n’offre pas que des avantages à l’emphytéote : il voit ses obligations s’alourdir, devant (quasiment) tout assumer : les réparations d’entretien, les grosses réparations, les taxes, les charges… et le constituant d’attendre la fin du contrat sans bouger. Sans bouger mais non sans arme : en cas de défaillance de l’emphytéote, le constituant pourra agir en déchéance du droit. Notons, pour être complet, que le tréfoncier disposait déjà d’une telle prérogative, tout comme le nu-propriétaire envers un usufruitier défaillant, et que la sanction de la déchéance pour abus a été généralisée à tous les droits réels d’usage.

Cherchant sempiternellement à « équilibrer » les droits et obligations des protagonistes, les auteurs du texte légal ont (ré)compensé cet alourdissement en offrant, en principe, à l’emphytéote de se voir indemnisé sur le modèle du grand frère superficiaire. En fin de droit, l’accession opère et l’emphytéote pourra demain réclamer au constituant la valeur des biens ainsi transférés, sur la base du mécanisme de l’enrichissement injustifié. Le recours à ce mécanisme fait débat, tant il sera difficile de déterminer l’appauvrissement de l’emphytéote. Les parties seront bien avisées de modaliser contractuellement ce calcul indemnitaire pour limiter les discussions et éviter, ô joie, un procès.

Mesures transitoires

Attention aux mesures transitoires ! Pour qui l’ignore encore, le livre 3 est entré en vigueur le 1er septembre 2021. Mais ses dispositions transitoires prescrivent que les emphytéoses nées avant cette date restent régies, leur vie durant, par la loi abrogée du 10 janvier 1824. Nous plaiderons donc toujours, dans près d’un siècle, sur la base de la loi hollandaise.

Conseil d’ami : ne jetez pas vos vieux précis !

AUTRES QUESTIONS DE CETTE RUBRIQUE :