Le livre 3 en 12 épisodes - La naissance des servitudes (ép. 5)

Une servitude est une charge qui grève un immeuble (fonds servant) au profit d’un autre immeuble (fonds dominant). Elle est en principe perpétuelle et représente, bien souvent, une moins-value pour le bien assujetti. Le livre 3 reprend les origines des servitudes que l’ancien droit connaissait mais en aménage les conditions, ce qui doit être connu des praticiens tant le piège peut être grand de voir son fonds grevé de cette charge pour… l’éternité.

Les servitudes légales

De nombreuses servitudes grèvent les fonds ou les bâtiments en raison de la loi. Ces servitudes étaient éclatées entre l’ancien Code civil et le Code rural, elles sont désormais rassemblées dans le livre 3. Vu leur importance, elles feront l’objet d’un épisode spécifique (soyez patients !).

Les servitudes du fait de l’homme

Les modes visés sous cette appellation demeurent. Quels sont-ils ?

  • L’acte juridique

Tout d’abord, et c’est le plus courant, une servitude peut découler d’un titre. Ce titre est, généralement, un acte authentique qui consacre la servitude. L’exemple classique est le titre qui consacre la vente d’une partie d’une parcelle et qui, pour éviter de l’enclaver, prévoit une servitude de passage sur le fonds restant à appartenir au vendeur.

Précisons que la servitude peut être établie sous signature privée, qu’elle pourrait même être orale ! Evidemment, dans ce dernier cas, une difficulté de preuve se posera. Mais le recours à l’acte authentique n’est requis que pour la formalité de la transcription qui assure son opposabilité aux tiers. Une servitude concédée par le propriétaire du fonds servant en faveur du fonds dominant… sur un carton de bière… serait parfaitement valable entre parties !

  • L’acte recognitif

A défaut de titre en bonne et due forme, le fonds dominant pourra se prévaloir d’un acte recognitif de servitude. Il s’agit d’un acte par lequel le fonds asservi a reconnu qu’il l’était : une mention sur un plan, dans une demande de permis d’urbanisme, etc. peut donc servir à établir cette reconnaissance. Il convient donc d’être très prudent dans ses écrits, au risque de voir un magistrat consacrer, même des années plus tard, que, ce faisant, le propriétaire du fonds a reconnu sa sujétion. Quand on vous parle de mauvaises surprises…

  • La prescription

Une servitude peut aussi naitre par prescription acquisitive, sous certaines conditions, générales et spéciales :

  • les conditions générales sont une possession utile et un délai devenu décennal en cas de bonne foi, comme nous l’avons vu dans l’épisode 2 de cette série.

 

  • les conditions spéciales ont changé : auparavant, seules les servitudes continues et apparentes étaient prescriptibles. Le législateur de 2020 a cru bon de supprimer le critère de continuité et de redéfinir la notion d’apparence. Est désormais apparente une servitude qui s’annonce « par des ouvrages permanents ou visibles » ou « par une activité régulière révélée par des traces ». Convenons que ces critères sont larges, ce qui nous amène à penser que les débats dans les prétoires seront subtils (et d’autant plus subjectifs).

La conséquence de ces deux changements est que davantage de servitudes qu’auparavant seront susceptibles de naître par prescription, le seul point en débat n’étant plus que celui de l’apparence telle que redéfinie. Nous pensons en particulier à la servitude de passage ou encore à la servitude d’écoulement des eaux usées qui pourra donc, demain, être prescrite, ce que leur discontinuité empêchait auparavant, pour autant qu’elles soient apparentes. En termes de délai, le régime transitoire prévoit, de façon assez logique, que les nouvelles prescriptions ne commencent à courir qu’au jour de l’entrée en vigueur de la loi (soit le 1er septembre 2021). Il faudra donc attendre le 1er septembre 2031 avant de pouvoir soutenir avoir prescrit une servitude qui était imprescriptible sous l’ancienne loi (moyennant bonne foi, pour rappel).

  • La destination du propriétaire

Il s’agit de la nouvelle appellation de la « destination du père de famille » (qui n’était plus vraiment à la mode). Une servitude peut naitre par ce biais lorsqu’un service, existant sur un immeuble appartenant à une seule personne, est maintenu alors que cet immeuble est divisé (un arbre, une fenêtre…). L’ancien régime exigeait que ce service soit continu et apparent pour se muer en servitude. Vu la disparition du critère de continuité, tous les services apparents, selon les nouveaux critères, au jour de cette division intervenue depuis le 1er septembre 2021, sont devenus servitudes. A nouveau, il peut désormais s’agir d’un passage, ce qui n’était pas envisageable avant le livre 3, pour autant qu’il fut visible (ou révélé par des traces) lors de la division. Cette division ayant pu intervenir des années plus tôt, les débats risquent, là aussi, d’être houleux.

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