Le livre 3 en 12 épisodes - « L’empiètement » (ép. 13)

 

Les lecteurs attentifs auront noté que cette série devait compter 12 épisodes. Toutefois, une problématique surgit couramment dans les projets immobiliers : celle de l'empiètement. Il est dès lors proposé de… déborder la limite autorisée et de consacrer un 13ème épisode à cette problématique.

En effet, les exigences énergétiques actuelles imposées lors de la construction ou la rénovation de bâtiments impliquent de plus en plus que les murs extérieurs soient isolés afin d'améliorer les qualités PEB du bien.

Pour ne pas perdre de place, le propriétaire souhaite bien souvent faire procéder à cette isolation par l'extérieur. Cette pose implique alors un débordement sur le fonds voisin et donc, même de façon minime, un empiètement immobilier.

Avant le livre 3, cette question n'était pas organisée par l'ancien Code civil, de sorte que la jurisprudence avait recours à la notion d'abus de droit pour apprécier si une demande d'enlèvement d'une isolation débordant sur le fond voisin était fondée ou non. Les espèces sont diverses mais dans un arrêt récent, la cour d’appel de Liège a condamné un bâtisseur à enlever la pose d’un crépi isolant, lequel engendrait un débordement (de seulement 14 cm) sur le fonds voisin, , après avoir estimé que ce dernier était de (très) mauvaise foi.

Le régime du livre 3

Le livre 3 n'a pas pu faire l'économie de cette problématique. L’empiètement est visé explicitement à l’article 3.62, coincé entre les règles relatives aux étendues horizontales et verticales de la propriété immobilière.

Pour synthétiser, disons que cette disposition instaure un régime en cascade.

Tout d'abord, le texte indique que si le voisin bâtisseur est nanti d’un titre légal ou contractuel l’autorisant à ériger un ouvrage « sur, au dessus ou en dessous du fonds voisin », l’empiétement sera valablement autorisé durant la durée de son droit. Cette précision est logique : en cas d’autorisation (par exemple une superficie), l’accession est différée et l’empiètement ne peut être dénoncé.

Ensuite – et il s'agira du cas de figure le plus courant –, le texte organise l'hypothèse où le voisin ne dispose pas d’un titre légal ou conventionnel. Dans ce cas, il conviendra d’apprécier sa bonne foi :

  • si sa bonne foi est confirmée et que l’enlèvement postulé lèse le bâtisseur « de façon disproportionnée », l’empiété ne pourra pas postuler l’enlèvement de l’ouvrage. Il s’agira donc d’une appréciation in concreto.  Dans certains cas, perdre quelques centimètres peut entrainer des conséquences dommageables, spécialement dans des parkings ou encore pour la pose de techniques.

 

Si ces conditions sont remplies, le voisin victime de l’empiétement ne pourra certes plus postuler l’enlèvement des ouvrages, mais devra offrir au bâtisseur de convenir d’un droit de superficie « pour la durée de l’existence de la construction », ou de racheter la bande de terrain empiétée. Ces deux droits seront concédés moyennant paiement.

 

  • si, au contraire, la mauvaise foi est démontrée, le voisin conservera la possibilité de convenir d’une superficie ou d’un rachat de propriété, mais pourra tout de même postuler l’enlèvement.

 

Cette dernière hypothèse laisse toutefois encore une porte de sortie au bâtisseur de mauvaise foi : il pourra éviter la condamnation à l'enlèvement « s’il n’y a ni emprise considérable, ni préjudice potentiel dans le chef du voisin (empiété) ».

 

 

Commentaires

Autorisons nous quelques commentaires à propos de ce nouveau régime :

  • Précisons d'emblée que cet article 3.62 est certainement un des moins lisibles de la réforme.

 

  • Qu'on se le dise très clairement : le nouveau régime n'instaure pas le droit de déborder chez le voisin, même pour des raisons environnementales ou parce que ce débordement serait requis par un permis d'urbanisme. On l'a vu, le nouveau régime juridique organise le sort d'un empiétement réalisé, et non pas la possibilité d'exiger du voisin de tolérer ce débordement.

 

  • L'ultime porte de sortie décrite ci-avant est telle que le livre 3 instaure une nouveauté de taille (que la jurisprudence n'avait jusqu'à présent que rarement admise) : même dans le cas de figure du bâtisseur de (très) mauvaise foi, ce dernier pourra désormais légalement échapper à la demande de démolition, certes moyennant le paiement d'une superficie ou le rachat de la bande empiétée, mais il est évident que les sommes en jeu seront très relatives, ce qui lui permettra d’espérer sauver sa peau… et son mur !

 

  • De là à encourager les prises de possession et les voies de fait, il n'y a qu'un pas…

 

Des solutions ?

Concluons en rappelant que des solutions existent entre voisins : les parties peuvent évidemment s'entendre pour procéder entre elles à la vente de la bande de terrain ainsi empiétée ou, et ce sera conseillé, pour convenir d'une tolérance, voire une servitude de surplomb, à laquelle le fonds empiété pourrait mettre fin s’il devait, à l'avenir, lui-même procéder à des travaux impliquant l'enlèvement de cette isolation.

 

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