Le livre 3 en 12 épisodes - « Les servitudes légales : vues sur jardin » (ép. 8)
L’épisode 5 de cette série était consacré à la notion de servitude et à celles issues du fait de l’homme. Voyons à présent comment le texte a regroupé et organisé les servitudes légales. Il ne faut pas les négliger : elles sont omniprésentes en droit immobilier.
Un regroupement
Le nouveau texte organise les servitudes légales aux articles 3.129 et suivants et crée trois grandes catégories : les eaux, les distances et l’enclave. Le nouveau texte a donc le mérite de la clarté quand, auparavant, ces notions étaient partagées entre le Code civil et le Code rural.
Concentrons-nous sur les distances.
Les jours et les vues
On rappellera qu’une vue est un ouvrage qui laisse passer l’air et la lumière quand un jour ne laisse passer que la lumière. Pour faire simple, une vue, c’est ouvrant.
L’ancien Code précisait des distances ou des hauteurs à respecter, selon qu’il s’agissait d’un jour ou d’une vue et, pour cette dernière, selon qu’elle était droite ou oblique.
Les concepts de jour et de vue n’ont pas survécu à la réforme. Le législateur de 2020 a voulu simplifier ce régime par le biais d’une seule disposition. L’article 3.132 al. 1er prescrit ainsi que :
« Le propriétaire d'une construction peut y réaliser des fenêtres au vitrage transparent, des ouvertures de mur, des balcons, des terrasses ou des ouvrages semblables pour autant qu'ils soient placés à une distance droite d'au moins dix-neuf décimètres de la limite des parcelles. Cette distance est mesurée par une ligne tracée perpendiculairement à l'endroit le plus proche de l'extérieur de la fenêtre, de l'ouverture de mur, du balcon, de la terrasse ou des ouvrages semblables jusqu'à la limite des parcelles. »
Formulons quelques observations :
- en somme, seul un régime a survécu à la réforme : celui des vues droites. En effet, une vue droite devait être située à au moins 19 dm de la limite séparative des fonds et cette distance était calculée en tirant une ligne perpendiculaire ;
- la question que suscite ce texte immédiatement est celle du sort des vues obliques. L’ancien texte prescrivait une distance d’au moins 60 cm pour ce type de vue. Le texte actuel n’en dit mot. Cela étonne car il demeure qu’une ligne perpendiculaire tracée depuis une fenêtre située dans une façade arrière, elle-même perpendiculaire au mitoyen, ne rencontrera jamais la limite séparative des fonds puisqu’il s’agira de deux parallèles. Les commentateurs du texte en ont déduit qu’il n’existait plus de distance minimale pour ce type de vue, de sorte qu’elle pourrait même être construite tout contre le mitoyen. Le Ministre de la Justice a confirmé cette lecture en réponse à une question parlementaire : « La conclusion est qu'aucune distance minimum ne doit être respectée pour les vues obliques lorsqu'elles sont placées sur un mur perpendiculaire à la limite de la parcelle ».
- cette disposition vise « des fenêtres au vitrage transparent, des ouvertures de mur, des balcons, des terrasses ou des ouvrages semblables », soit autant d’ouvrages qui, à nos yeux, répondent à la définition d’une vue. Où sont passés les jours ? S’ils ne sont plus réglementés, ils sont autorisés, avec la conséquence qu’un jour pourrait être aménagé où et n’importe où… en ce compris dans un mur jointif ? Bien entendu, cela ne se peut. Deux solutions émergent : ou notre lecture est trop rigoriste, ou la loi doit être amendée.
Enfin, l’alinéa 2 de cette disposition consacre que ce type d’aménagement reste exclu dans un mitoyen.
Des exceptions
Rappelons que cette disposition est évidemment supplétive : les parties peuvent y déroger. Le texte prévoit aussi que si une des parcelles relève du domaine public, ces exigences ne sont pas d’application.
L’action en suppression d’une « ouverture de mur » irrégulière se prescrit par 30 ans, comme auparavant, et ne peut être envisagée, en toute hypothèse, que pour autant que le demandeur subisse un dommage.
Les plantations
L’autre servitude qui doit retenir notre attention est celle relatives aux plantations.
Il était consacré dans le Code rural qu’un arbre de haute tige devait être planté à une distance minimale de 2 mètres de la limite séparative des fonds, la sanction étant l’arrachage. L’ancien texte ne définissait pas la notion de « haute tige » et, enfin, autorisait à faire exception à cette règle en raison d’usages constants et reconnus.
La même idée est conservée à l’article 3.133 du texte, sous la réserve qu’il n’est plus fait référence à la notion de haute tige. Dorénavant, tout arbre de plus de 2 mètres doit être planté à au moins 2 mètres de la limite. Et l’exception des usages constants n’est plus retenue.
Les autres plantations devaient, et doivent toujours, respecter une distance de 50 cm.
Bien entendu, on arguera que lorsque l’arbre fut planté, il ne présentait pas une hauteur de 2 mètres… Il convient donc d’être vigilant et d’entretenir sa plantation sous cette limite, ou de la planter d’emblée à bonne distance.
Cette action reste réelle, et donc soumise à un délai de prescription extinctive trentenaire, et la sanction reste, en principe, l’arrachage. En principe car la théorie de l’abus de droit a déjà maintes fois servi à adoucir cette sanction si elle devait présenter un caractère trop absolu, pour autant toutefois qu’un élagage ou un étêtage ne mette pas en danger la vie de l’arbre.
On trouve également dans ce chapitre la réglementation relative aux branches et aux racines envahissantes. Le régime est unifié comme suit : en cas d’invasion, l’envahi doit désormais mettre en demeure son voisin de procéder à la coupe utile dans les 60 jours. A défaut, l’envahi pourra solliciter l’enlèvement en justice ou, et c’est nouveau pour les branches, y procéder par lui-même aux frais de son voisin, mais à ses risques et périls… Pour cette dernière raison, vu les conséquences financières ou sur la vie de l’arbre que cela peut engendrer, la seconde option est à déconseiller.
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