Le livre 3 en 12 épisodes - La prescription immobilière (ép. 2)
Le livre 3 ne bouleverse pas le principe de la prescription ni la notion de possession qui la sous-tend. Gage de sécurité juridique, la prescription a pour effet de conférer un titre à celui qui ne bénéficie que d’une situation de fait (le possesseur) au détriment du véritable titulaire du droit (le verus dominus). Ces notions sont capitales en droit des biens et peuvent piéger les justiciables et les praticiens.
Le point de départ…
Pour prescrire, il faut posséder. « La possession est donc la notion phare. Il s’agit de l’exercice de fait d’un droit, comme si l’on en était titulaire, par soi-même ou par l’intermédiaire d’un tiers ». La possession reste donc une situation de fait.
La loi aime le possesseur et pour le prouver, elle l’entoure de présomptions :
- celui qui a la chose en main est présumé possesseur ;
- le possesseur est présumé être titulaire du droit qu’il exerce ;
- le possesseur est présumé de bonne foi ;
- le possesseur est présumé posséder utilement, sa possession est donc présumée continue, publique, non-équivoque et paisible ;
Mieux encore, la possession, lorsqu’elle est immobilière, reste protégée par une action judiciaire spécifique, le cas échéant, et à nouveau, au détriment du véritable titulaire du droit. Certes, le législateur de 2020 a réduit la protection possessoire à une seule forme de réintégrande, mais il n’a pas voulu l’abolir pour autant. En conséquence, face à une violence ou voie de fait, le possesseur dont la possession est paisible et publique, pourra toujours se faire réintégrer dans sa possession, avant tout débat quant au fond du droit.
…pour prescrire…
Prescrire ne se fait pas en un jour, en matière immobilière du moins. L’ancien Code civil prévoyait un délai de prescription de droit commun de trente ans. Il existait aussi un mécanisme de prescription abrégée dont le délai oscillait de 10 à 20 ans selon que le possesseur et le verus dominus étaient situés dans le même ressort de cour d’appel. En outre, ce régime exigeait la bonne foi et un juste titre dans le chef du possesseur. Cette prescription abrégée ne se justifiant plus, le législateur 2020 l’a abrogée.
Désormais, le délai de droit commun de la prescription immobilière est ramené à dix ans pour autant :
- que le possesseur possède utilement, comme auparavant.
- que le possesseur soit de bonne foi. Le possesseur de mauvaise foi, quant à lui, ne pourra prescrire qu’au terme d’un délai trente ans. Il convient donc de s’interroger sur cette notion de bonne foi, nouvelle version, et sur l’incidence de sa survenance.
…de bonne foi
Est de bonne foi le possesseur qui peut légitimement se croire titulaire du droit qu’il possède. Dès lors que la bonne foi est présumée, ce sera au verus dominus à contester la bonne foi du possesseur pour postuler que le délai décennal ne trouve pas à s’appliquer.
Le délai trentenaire trouve à s’appliquer si le possesseur est de mauvaise foi lors de son entrée en possession. Il convient donc d’en déduire que si le possesseur est de bonne foi lors de son entrée en possesseur, le délai décennal trouvera à s’appliquer et que la survenance de la mauvaise foi, en cours de possession, est sans incidence quant au délai selon l’adage bien connu Mala fides superveniens non nocet !
Ainsi, si Monsieur DUPONT pense être propriétaire d’une bande de terrain en fond de parcelle pour l’avoir acquise selon un titre, qu’il occupe ce terrain et qu’il l’entretient, et qu’il apparait ensuite que cette bande de terrain appartient au fonds voisin, Monsieur DUPONT pourra la prescrire par 10 ans, même s’il devait se rendre compte, avant ces 10 ans, qu’il n’est en réalité pas titulaire de la propriété de cette parcelle.
Ce sera au voisin, verus dominus, à démontrer, s’il agit avant 30 ans, que Monsieur DUPONT était de mauvaise foi lors de la prise de possession de la parcelle. A défaut, après 10 ans, la prescription aura opéré. Il sera aussi rappelé que le possesseur actuel peut toujours joindre à sa possession celles de ses prédécesseurs.
Mesures transitoires
S’agissant d’une modification des délais, il faut avoir égard aux mesures transitoires. Ces dispositions du livre 3 entrent en vigueur au 1er septembre 2021. Les droits acquis par prescription avant cette date le restent. Quant au délai de prescription courant à l’entrée en vigueur du livre 3, les nouveaux délais s’appliquent au 1er septembre 2021, sans pouvoir prolonger le délai applicable avant la nouvelle loi. En d’autres termes, et à titre d’exemple, si un délai trentenaire a commencé à courir en 1995, il prendra fin en 2025. Par contre, s’il a commencé à courir en 2015, il prendra fin le 1er septembre 2031 si la présomption de bonne foi n’est pas renversée.
Une action en reconnaissance
Le Livre 3 innove en son article 3.26 qui précise que la prescription acquisitive est constatée en justice, « le possesseur étant demandeur ou défendeur ». Cette incise est d’ampleur : le possesseur pourra désormais agir comme demandeur contre le verus dominus pour faire reconnaitre son droit prescrit, ce qui n’était pas possible auparavant. Dans l’ancien temps, la prescription n’était qu’un moyen de défense : le possesseur devait attendre que le verus dominus « se réveille » et revendique son droit en justice pour faire valoir la prescription. Cela pouvait générer des situations délicates quand le verus dominus ne se réveillait jamais… Désormais, il pourra donc être attrait en justice (et réveillé) par le possesseur. Ce nouveau mécanisme devrait donc contribuer à une meilleure sécurité juridique.
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