Le livre 3 en 12 épisodes - « Les troubles de voisinage ‘dans le texte’ » (ép. 7)

 

La théorie des troubles de voisinage est née de la seule imagination de la jurisprudence. Par un arrêt fondateur de 1960, la Cour de cassation avait rattaché cette responsabilité à l’article 544 du Code civil, qui consacrait le droit de propriété, alors que le texte de la loi n’en disait mot. Depuis 60 ans, cette responsabilité a connu un développement extraordinaire. Le livre 3 a pris acte de cette évolution et a enfin donné à cette responsabilité une reconnaissance légale.

Une entrée dans la loi

La théorie des troubles de voisinage se voit reconnue par la loi, mais seules deux dispositions la concernent : les articles 3.101 et 3.102. La volonté des auteurs du texte est claire : consacrer dans ces deux dispositions les principes dégagés par la jurisprudence, sans plus.

Listons dès lors ses traits saillants.

Une responsabilité sans faute

Cette responsabilité est objective : elle engage l’auteur du trouble alors que ce dernier n’a pas commis de faute, ce qui est particulier. En outre, seul le trouble excessif au regard des inconvénients normaux de voisinage est sanctionné. En conséquence, cette responsabilité n’appelle pas une indemnisation des dommages subis, comme l’exigerait une responsabilité fautive, mais une compensation du déséquilibre causé entre les fonds. En théorie, dès lors, la sanction de la responsabilité pour troubles de voisinage sera moins lourde que celle découlant de la commission d’une faute.

Il revient au juge à apprécier l’excès : la loi indique qu’il doit tenir compte de « toutes les circonstances de l’espèce », tels le moment, la fréquence ou l’intensité du trouble. Comme par le passé, malgré l’énumération de ces critères, le juge dispose d’une grande marge de manœuvre pour apprécier le caractère excessif souverainement.

Entre propriétaires seulement ?

La responsabilité pour troubles de voisinage ne concerne pas que les propriétaires. Elle vise tout « titulaire d’un attribut du droit de propriété ». Sont donc aussi concernés le locataire, l’usufruitier, le concessionnaire... mais non l’architecte ni l’entrepreneur. Ces derniers ne sont pas considérés comme des voisins, de sorte qu’ils ne peuvent pas agir (ou se voir assignés) sur le fondement de cette responsabilité.

Notons ici que les pouvoirs publics peuvent aussi engager leur responsabilité sur la base de cette théorie. Lorsque, par exemple, des travaux sont effectués sur une voirie et que ces travaux causent des dommages aux maisons voisines, c’est sur ce fondement juridique que les voisins préjudiciés pourront espérer obtenir réparation de leur préjudice. Il en est de même d’un commerçant qui subirait des pertes commerciales en raison de travaux effectués en voirie.

En cas de travaux

L’entreprise n’est toutefois pas totalement étrangère à ce contentieux. Si un propriétaire recourt à un entrepreneur et qu’à l’occasion de ces travaux, des dommages sont causés au voisin, une subtile partie à trois peut surgir : le voisin-victime assignera le voisin-maitre d’ouvrage sur la base de la responsabilité des troubles de voisinage et ce dernier pourra assigner en garantie son entreprise sur la base du contrat.

Si le voisin-victime ne peut agir contre l’entrepreneur directement sur la base de la théorie des troubles de voisinage, comme dit ci-avant, il pourra tenter d’engager sa responsabilité pour faute, ce qui sera toutefois moins aisé.

La conséquence de ce trio est qu’en cas de manquement de l’entrepreneur, le maitre d’ouvrage ayant eu recours à ses services verra sa responsabilité engagée envers son voisin-victime sur la base de cette théorie. En d’autres termes, la faute de l’entreprise engage la responsabilité du voisin… sans faute ! A la condition, cependant, que les troubles causés lui soient imputables. Cette notion avait été dégagée par la jurisprudence spécialement en matière d’incendie : il faut un lien objectif entre l’élément ayant déclenché le trouble, l’incendie par exemple, et le voisin assigné. En cas de travaux, il faut que l’élément déclencheur soit inhérent aux travaux commandés, et non pas totalement étranger, ou le voisin-maitre d’ouvrage pourra obtenir d’être libéré de toute responsabilité.

Le livre 3 reprend ces principes jurisprudentiels, là aussi, mais consacre une nuance : en cas de recours à un entrepreneur, si le trouble découle de ces travaux, l’imputabilité au voisin-maitre d’ouvrage est désormais présumée.

La prescription

Le nouveau texte apporte une précision quant au délai de prescription : il faut faire application de la responsabilité extracontractuelle, soit agir dans les 5 ans de la connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable.

Des nouveautés

Le texte innove enfin à deux égards :

  • tout d’abord, le nouveau texte organise une action préventive en matière de sécurité, de santé et de pollution. Pour autant qu’un risque sérieux et avéré existe, un voisin pourra demander au juge que ce dernier ordonne des mesures préventives pour éviter que ce risque ne se réalise. En cas d’urgence toutefois, la voie du référé restera de mise.

 

  • enfin, l’autre nouveauté git ailleurs, dans le Code judiciaire, qui prescrit désormais que toute action fondée sur ces articles 3.101 et 3.102 relève de la compétence spéciale du juge de paix, indépendamment de la valeur du litige.
 

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