La réforme du bail à Bruxelles

 

Projet de réforme du droit du bail : gare au bailleur !

Introduction

Depuis la 6e réforme de l'Etat, les Régions sont compétentes en matière de bail.

La Région bruxelloise est déjà intervenue pour réglementer cette matière qu'elle a intégrée au Code bruxellois du logement (C.B.L.).

Le gouvernement actuel souhaite à nouveau modifier cette législation dans le but de «  prévenir au mieux les expulsions de logements » et d’assurer une meilleure protection du droit au logement sur la base de dispositions issues du droit international.

Le projet sur le point d'être voté implique plusieurs modifications dont les conséquences, spécialement pour les bailleurs, sont d'envergure.

Résumé du projet

Ces modifications peuvent être listées et résumées comme suit :

  • une mise en demeure devra être envoyée au locataire défaillant préalablement à toute procédure judiciaire. Cette mise en demeure devra contenir « les informations détaillées relatives aux décomptes des sommes dues » ; un modèle type sera fourni par le site de Bruxelles logement ;
  • le bailleur devra patienter un mois à dater de cette mise en demeure avant d’introduire une procédure judiciaire ;
  • cette procédure devra être introduite par la voie de la requête. Si la forme de la citation devait être choisie, le principe voudra que les frais de citation restent à charge du demandeur, sauf exception rare (comme par exemple une citation à parquet) ;
  • le demandeur devra annexer à sa requête la preuve de la mise en demeure et de sa date, cette exigence semble constituer une condition de recevabilité 
  • une fois la requête déposée au greffe, l'audience d'introduction ne sera pas fixée avant un délai de 40 jours ; ce délai est censé permettre au CPAS de procéder à une enquête sociale sur le locataire afin de l'aider au mieux dans ses difficultés ;
  • lors de l'audience d’introduction, le juge devra avant tout tenter de concilier les parties : il est toutefois prévu qu’à défaut de conciliation, la procédure pourra immédiatement suivre son cours quant au fond ;
  • le projet prévoit également que si la demande en expulsion est formée, non pas dans la requête introductive d'instance, mais par le biais de conclusions ultérieures, que ce soit par le demandeur originaire ou par le défendeur par voie reconventionnelle, le greffe devra transmettre cette demande d'expulsion au CPAS et la procédure en cours sera interrompue de 40 jours (toujours pour permettre une prétendue enquête sociale par le CPAS) ;
  • aucune expulsion ne peut avoir lieu avant un délai d’un mois à partir de la signification du jugement, ce qui n’est pas nouveau ;
  • le juge peut prolonger ce délai mais il doit alors octroyer au bailleur une indemnité d’occupation, qui ne sera pas forcément équivalente au loyer ;
  • l’huissier de justice instrumentant devra aviser le locataire de la date d'expulsion au moins 15 jours avant celle-ci au lieu de 5, ce qui, comme nous le savons, ne change rien dans les faits vu les délais actuels d'expulsion ;
  • lorsqu’une date d’expulsion sera enfin fixée, celle-ci devra être ajournée ou annulée si le locataire communique à l'huissier « une preuve d'une solution de relogement » effective au plus tard un mois à dater de l'avis d'expulsion ;
  • il sera désormais interdit de procéder à des expulsions durant la période hivernale, à savoir entre le 1er novembre et le 15 mars, à de rares exceptions près ; durant cette période, le bailleur pourra toutefois obtenir le paiement de ses loyers auprès d'un Fonds de solidarité ; par contre, ce Fonds ne prendra pas en charge les indemnités d’occupation dues par le locataire durant la période pendant laquelle le juge aura suspendu l’expulsion ;

 

Autorisons-nous quelques commentaires

  • Il est déjà d'usage d'envoyer une mise en demeure avant de saisir le juge. Il est également d’usage de préciser, dans cette mise en demeure, les sommes réclamées au locataire…
  • On aura constaté qu'une fois la mise en demeure envoyée, le bailleur n'aura d'autre choix que d'attendre au moins 2 mois et demi pour obtenir une audience d'introduction… Délai qui ne fera qu'aggraver son arriéré.
  • La procédure d’expulsion pourra elle aussi être ralentie, voire annulée si le locataire fait état d’une solution de relogement. Cette faculté (ou obligation) interroge : qui jugera du sérieux de cette solution de relogement ? Dans quelle mesure l’huissier de justice sera-t-il tenu d’annuler l’expulsion ? Le projet n’en dit mot. En tout cas, ce ne sera plus le juge de paix puisqu’il aura vidé sa saisine sur cette question et que celle-ci relève de l’exécution du jugement rendu.

 

Il en résulte en toute hypothèse que le bailleur devra encore supporter un mois supplémentaire avant de pouvoir faire procéder à l’expulsion. Prenant en compte tous les délais procéduraux, et sans égard à la trêve hivernale, une expulsion prendra au moins 6 mois.

 

Le projet n’a jamais égard aux coûts incompressibles auxquels le bailleur est confronté : requête, registre national, signification, expulsion proprement dite, frais de conseils… et perte locative bien souvent irrécupérable.

 

  • Les intérêts du bailleur ne sont manifestement pas au centre des préoccupations du projet d'ordonnance. Ainsi, lorsqu’il est demandé si la situation financière du bailleur pourrait constituer une exception à la trêve hivernale, le gouvernement répond que « si des problèmes financiers très important surgissent dans le chef du bailleur du fait d'un arriéré de loyer de quelques mois », le bailleur dispose d'autres solutions : « il peut y emménager lui-même pour récupérer le loyer de son premier logement » (phrase que nous n'avons toujours pas comprise…), il peut également… vendre son logement (sic).

 

Ces réflexions laissent pantois et n’appellent pas d’autres commentaires.

 

  • Les travaux parlementaires recèlent de réflexions qui n'ont rien d'inédites et qui étonnent quand on connait les règles et les pratiques actuelles.

 

Ainsi, les travaux parlementaires indiquent que le juge doit faire une application proportionnelle des règles de droit eu égard à la gravité des manquements du locataire. Il nous parait qu’il appartient déjà au juge d’apprécier si la gravité du manquement justifie la fin du contrat, selon les règles du droit commun…

 

Dans la même veine, les travaux parlementaires insistent également sur le fait que les arriérés de peu d’importance doivent être apurés dans des délais raisonnables, par le biais de plans de paiement. Il est toutefois déjà extrêmement courant qu'un montant relatif fasse l'objet d'un plan de paiement sanctionné par une clause de déchéance.

 

Notons à ce sujet que les travaux parlementaires considèrent qu’un arriéré de trois mois de loyer ne pourrait justifier à lui seul la résolution du bail. Vu les nouveaux délais procéduraux imposés au bailleur, on y sera vite…

 

  • Le rôle du greffe se voit aussi alourdi : comme mentionné ci-avant, le greffe devra transmettre au CPAS les demandes d’expulsion formulées en cours de procédure : devons-nous comprendre que les greffiers vont devoir prendre connaissance des dispositifs des conclusions déposées dans toutes les procédures et s'interroger sur la question de savoir si la demande est nouvelle, auquel cas la procédure serait automatiquement suspendue ?

 

Nous nous demandons aussi comment cette « pause » dans la procédure sera matérialisée : le juge va-t-il, d’office, revoir le calendrier 747 C.J. déjà fixé et reporté l’audience de plaidoiries, elle aussi déjà fixée par hypothèse ?

 

  • On peut également se demander si les CPAS sont aujourd'hui suffisamment outillés pour répondre aux missions que le projet entend leur confier et qui, du reste, justifient l’intégralité de cette réforme. Si la réponse à cette question est négative (ce que nous pouvons malheureusement supposer), à quoi bon changer les règles et alourdir la procédure ?

 

  • Mis à part l'instauration du Fonds de solidarité visant à indemniser le bailleur pour la perte de ses revenus locatifs durant la trêve hivernale, force est de constater que les différents changements en vue sont défavorables aux bailleurs. Il conviendra également d'être attentif à la manière avec laquelle cette demande d'indemnisation devra être formulée et les délais auxquels le bailleur sera confronté avant d'être indemnisé.

 

Dans son avis, le Conseil d’Etat a condamné le principe de la trêve hivernale et considéré que celle-ci constitue une restriction excessive du droit au respect des biens.

 

En effet, une telle paralysie d’une décision de justice constitue une ingérence au droit de propriété, de même qu’une restriction au droit d’accès au juge. Il a dès lors examiné si ces atteintes pouvaient être admises, pour conclure à une réponse négative.

 

Le Conseil d'État s'est en substance référé à l'arrêt de la Cour constitutionnelle 97/2022 qui s'était penché sur la légalité du moratoire instauré durant le confinement pour rappeler que «  l'autorité qui suspend provisoirement l'expulsion d'un locataire ne peut, sans compensation, imposer des charges qui excèdent celles qui doivent être supportées par un particulier dans l'intérêt général ».

 

De même dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle s'était prévalue du contexte exceptionnel pour valider le régime mis en place.

 

Force est de constater que le projet en débat ne constitue pas un régime exceptionnel mais un régime permanent. Pour cette raison, et d’autres, le Conseil d'État considère qu’«  il est douteux que l'interdiction des expulsions durant les mois d'hiver puisse être considérée comme proportionnée par rapport à l'objectif poursuivi par les auteurs de l'avant-projet, à savoir la concrétisation du droit au logement ». En conclusion, l’avis indique que cette interdiction d'expulsion pendant l'hiver « n'est pas nécessaire ».

 

  • Par ailleurs, le Conseil d'État prend acte de ce que les loyers dus durant la trêve hivernale seront pris en charge par le Fonds de solidarité mais il constate que tel ne sera pas le cas des indemnités dues durant la prolongation de l'interdiction d'expulsion.

 

Il considère que cette différence de traitement ne peut être admise à la lumière du principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination. Si le texte est adopté comme tel, il fera assurément l'objet de recours à la Cour constitutionnelle.

 

  • Le Conseil d'État met également en exergue la possibilité de voir l’expulsion reportée si le locataire fait état d'une solution de relogement dans le mois de la date de l’expulsion.

 

À juste titre, le Conseil d'État considère que cette faculté entraîne un report d'au moins un mois de l'expulsion et que celle-ci, sans qu'il soit prévu d'indemnité d'occupation en faveur du bailleur, constitue une restriction excessive du droit de propriété de ce dernier.

 

Le Conseil d'État s'étonne aussi de cette possibilité dans la mesure où le juge aura déjà statué sur l'opportunité de réduire ou d'allonger le délai d'expulsion. La haute juridiction considère que cette faculté se ferait « au mépris » d'une décision judiciaire.

 

A n’en pas douter, et à notre estime, cette possibilité mettra dans l’embarras les huissiers de justice.

 

 

 

 

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